MORBUS MORTEM - PARTIE III
Le docteur persévérait, parlant à soi-même :
-Mais pourquoi n'a-t-il pas été contaminé ? Tout y était pourtant propice...A moins que… Non, ça ne peut être ça…Et si…
-Qu'est c'que j'fais là ? Demanda Joras, totalement perdu.
En observant son masque dans la main comme Hamlet un crâne, le médecin esquissa un regard consterné, comme si on l'avait tiré d'un rêve, et répondit :
-Pardon ? Ah… je vais te garder avec moi quelques temps. Je voudrais être sûr que ta santé n'est pas en péril. Et puis, de toute évidence, tu es bien mieux ici que là-bas.
-Mais… Entama le garçon.
-Non, il est temps pour toi de te reposer. Tu disposeras de tout ce dont tu auras besoin. Quand tu seras détaché, tu vivras dans cette pièce : je t'installerai un lit, t'apporterai un repas trois fois par jour et te fournirai des habits. Ne t'en fais pas, tu ne resteras pas ici longtemps. En revanche, je te déconseille fortement d'essayer de t'enfuir, tant que je ne t'aurai pas autorisé à partir. Bien, je vais te libérer. Voilà des vêtements. Ce ne sont pas les robes chatoyantes du roi, mais ça te tiendra chaud et ce sera meilleur que les horribles guenilles infestées que tu portais.
L'homme, paré de sa cape noire, délia les mains de Joras et lui tendit un sac de jute rempli de linge, rapprochant sa baguette de son corps, se rappelant de la quantité de sang qui jaillit de son arcade. Voyant que son captif se tenait tranquille, il baissa la garde et quitta la salle. Le jeune garçon enfila une chemise et un pantalon en toile, après avoir remarqué que ces anciens habits alimentaient les flammes. Bien que la situation était pour le moins particulière, il ne se sentait pas en danger. Il eut le temps d'observer la salle plus en détail : Une fine couche de poussière vernissait la table, trahissant les emplacements de divers récipients et livres, dénoncés par les formes géométriques plus sombres qui s'y dessinaient. On avait donc déplacé des objets avant son arrivée. La même chose se répétait au sol, qui était noirci par on-ne-sait quelle matière, sauf par endroits.
Des pas résonnèrent derrière et la porte et le médecin entra : « Voilà, je t'ai apporté le souper : des navets bouillis et du poisson. Je sais bien, ce n'est pas un festin, mais n'oublie pas que je n'ai pas énormément d'argent. Je vais mettre des draps dans l'alcôve, tu pourras t'y reposer. Essaie de dormir, je reviendrai te voir demain. »
Joras ne comprenait pas pourquoi le médecin parlait de festin : il n'avait jamais eu droit à une telle collation, surtout depuis qu'il vivait seul… Sans plus attendre, il dévora toute l'assiette, son plaisir grandissant à chaque bouchée. Une clé glissa dans la serrure et la porte se verrouilla de l'extérieur. Il passa deux doigts sur sa tempe chaude et ils furent recouverts d'une sorte d'huile visqueuse dont se dégageait un fumet doux et des fragrances florales. Le jeune homme n'était pas très rusé, ayant passé la vie dans la misère, c'est pourquoi il décida d'y accoler sa langue. Il en résulta un goût à la fois sucré et âpre, âpreté partagée par les huiles essentielles et le sang. En réalité, Joras ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait mais il avait pris pour habitude de s’accommoder des situations qui se présentaient à lui. Il se dit que la nuit portait conseil et se glissa dans les draps. Le sommeil commençait à l'emporter mais plusieurs voix résonnèrent de l'autre côté du mur, se répercutant dans toute l'alcôve. Le garçon crut discerner son prénom au moins cinq fois. Pourtant, il pensait que le médecin vivait seul…
Une fine rayure de lumière zébrait sur son visage. Il ne lui fallut que l'aide de ses ongles longs et sales pour creuser le crépit poreux et élargir la fissure afin d'y coller son œil. Ce dont il fut témoin échappa à sa compréhension : trois hommes, dont son étrange médecin, tous trois élégamment habillés, discutaient autour d'une grande table. Derrière eux se dressait une étagère remplie de diverses fioles colorées et trois masques de corbeau blancs pendaient aux coins.